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Elsa, maman, autiste Asperger et militante afroféministe.

Bonjour tout le monde !

Le blog m’a tellement manqué, je revis rien qu’à écrire ces lignes. Ma vie a été bien remplie ces derniers temps, trop remplie même. Je me suis laissée emportée par la vague sans plus venir prendre ma respiration, ma bouffée d’air par ici, ma thérapie! Heureusement, il y a une partie de moi qui finit toujours par sonner l’alerte, comme une petite voix intérieure qui me souffle: « Et alors, quand est ce que tu vas prendre soin de toi? » Alors je me pose, deux secondes, deux minutes, deux heures, juste pour vous donner des nouvelles, et aussi pour en avoir des vôtres.

Est ce que 2018 tient ses promesses? Pour l’instant, je dirais que oui! Un collectif afroféministe lancé dans une bonne dynamique, une Sisterhood Party #1 qui a tenu ses promesses et surtout des rencontres, de BELLES rencontres. J’ai mille projets en tête mais toujours autant de difficultés à fédérer des personnes autour, à communiquer oralement là dessus, et la vie dans le collectif m’aide énormément. J’ai fait tellement de progrès grâce à mes sistas et je fonce toujours tête baissée quand les choses me passionnent.

J’ai décidé que 2018 sera une année sans déni, surtout envers moi-même. J’ai un parcours plutôt atypique et je n’arrive à m’épanouir qu’en étant dans la marge et en autodidacte, et ce depuis mon enfance. J’étais une enfant silencieuse, une élève qui n’avait que des 20/20 mais qui restait sur un banc pendant toute la récréation car incapable de jouer normalement avec les autres. A 8 ans, la directrice de mon école m’a fait passer des tests, alertée par mon inertie en classe depuis des années car je m’ennuyais, et en a déduit que j’étais surdouée. J’ai alors sauté la classe de CM1 pour atterrir en CM2, mais, loin de résoudre mon problème, cela a aggravé mon cas et ma souffrance pendant toute ma scolarité jusqu’au lycée, me retrouvant dans un fossé d’incompréhension encore plus grand entre les autres élèves et moi, du à la différence d’âge, au fait que les institutrices de mon école me traitait comme un spécimen de foire (elles m’empruntaient à ma maîtresse pour me demander de faire des démonstrations de mathématiques à leurs classes qu’elles jugeaient nulles) , et à mon incapacité à communiquer normalement en groupe. Je me suis dès lors appliquée à paraître comme tous les autres enfants, histoire de me faire oublier. J’ai toujours su que j’étais autiste Asperger, mais je n’ai pu poser des mots sur cet handicap seulement arrivée à l’âge adulte, quand j’ai entendu parler du terme pour la première fois.

Le spectre autistique Asperger n’est pas un trouble mental ni une maladie psychiatrique. C’est un handicap invisible pour les personnes qui vous côtoient lié à un trouble neuro-développemental. Les Asperger, qui ne souffrent pas de déficience mentale, (c’est parfois le contraire), sont aussi catégorisés comme étant rattachés à un autisme dit « de haut niveau ». Etre Asperger, c’est avoir l’impression qu’une bulle invisible se dresse entre moi et mes interlocut.rices.eurs* lorsque je suis dans une conversation de groupe et glisser inexorablement dans le mutisme. Etre effacée la plupart du temps, même si on meurt d’envie de se mêler aux rires des autres. C’est ne pas avoir de filtres quand on s’exprime, Avoir une conscience aiguë d’être défaillante dans le domaine de l’intelligence sociale sans parvenir à demander de l’aide, et développer des stratégies pour le cacher. Imiter les autres, paraître et sourire pour se fondre dans la masse, faire croire aux personnes que la discrétion voire la timidité est un trait de votre personnalité. C’est facile. Avoir conscience que mes excellentes capacités d’apprentissage, de compréhension et d’exécution des tâches me sauvent dans toutes les situations et me permettent de passer entre les mailles du filet quand bien même on va d’échec en échec. « Elsa t’es intelligente mais pourquoi t’arrives pas à t’intégrer dans l’équipe? » « Elsa, pourquoi tu parles jamais? » Je mets tout le monde mal à l’aise car les gens n’aiment pas les blancs dans les conversations et pensent que je les snobe. Cela a été le cas toute ma vie: au lycée, au travail. Mais malgré les apparences et à force de faire semblant d’être une personne qu’on est pas, on reste en souffrance en dedans, et la souffrance s’aggrave jusqu’à vous bouffer à petit feu et vous amener dans l’auto-destruction. Je suis passée par là. J’ai passé ma vie à croiser des gens, à me faire adopter par les plus bavards et les plus sociables, afficher un air neutre, rire à des blagues que je ne saisissais pas ou que je devinais être drôle ou bien que je comprenais seulement avec un temps de retard, à avoir des sueurs froides à l’idée de devoir parler à quelqu’un au téléphone, et à ne jamais pouvoir pénétrer dans le vif des conversations, au cœur de ce qui fait qu’une conversation est animée, la vie quoi. C’est une lutte constante, épuisante, ponctuée parfois de petites victoires, pour chercher comment répondre à ce dialogue, comment être fluide, paraître naturelle, être présente du mieux que l’on peut. C’est un combat intérieur sans fin. Je regardais les autres vivre, et à l’intérieur de moi je me sentais d’autant plus morte, inanimée.

Je ne pouvais exprimer mes opinions, mes humeurs, mes émotions de la manière aussi banale qu’elle soit, c’est à dire dans l’oralité, entre êtres humains normaux et valides. J’étais une cocotte minute pleine de tourments qui ne demandaient qu’à sortir. A 14 ans, Internet m’a sauvé la vie (et aussi, plus tard, la sexualité), me permettant d’entrer en interaction avec les gens. J’y ai trouvé une fenêtre sur le monde et j’ai découvert la blogosphère de l’époque (pas de skyblog hein). Blogs après blogs, me voici arrivée ici à mon 5 ème espace web qui est celui que j’ai tenu le plus longtemps. Au cours de ma vie j’ai trouvé dans le rap, la peinture, l’illustration, la photographie et l’écriture des sérieuses échappatoires qui me permettaient parfois de me vider et surtout de faire du lien avec les gens, mais cela ne suffisait pas et je suis aussi passée par des longues périodes d’addictions. Ma vie intime et les traumatismes que j’ai pu y subir du fait de ma vulnérabilité, ma vie de couple et même ma maternité et ma parentalité ont été et sont profondément impactés par cet handicap qu’est le trouble du spectre autistique Asperger.

Ultra sensible, tirant mes origines socio-culturelles de Madagascar, l’un des pays les plus pauvres de la planète malgré la richesse de son sol et de ses cultures, j’ai toujours été révoltée par l’injustice sociale et le néocolonialisme toujours à l’œuvre. Contrairement à d’autres, je n’ai jamais réussi à m’habituer à la misère humaine, à vivre en parallèle, à me résigner. J’ai fui le monde académique par manque de confiance dans les institutions, incapable de coopérer, me désintéressant des études et méprisant les diplômes, pour tout apprendre par moi-même. Mais ce n’était jamais assez et j’ai très vite réalisé que la seule solution pour mener un projet révolutionnaire jusqu’au bout est la lutte en collectif, ce qui m’a mené au désespoir car je pensais en être incapable. Ne fréquentant que les milieux underground, j’ai, après être devenue maman (chose qui n’est pas de tout repos), tout fait pour rapidement m’aménager une vie en solitaire en travaillant depuis chez moi sans être obligée d’avoir des rapports sociaux qui m’épuisent et peuvent me laisser hors service pendant des jours. Cela m’a sauvé! Je n’avais pas supporté les années de travail dans le monde du salariat que j’ai connu pendant mes études et après avoir quitté la fac. je pétais les plombs! Ma grossesse surprise a été salvatrice et m’a aussi beaucoup isolée, car elle m’a obligé à stoppé le cours de ma vie et à prendre soin de moi alors que j’étais engagée dans un processus autodestructeur. Et j’étais bouleversée parce que je découvrais qu’avec mon bébé il n’y avait pas besoin de parler pour donner de l’amour et être aimée.

Internet et les réseaux sociaux sont les seuls espaces où je suis relativement capable de m’exprimer, en allant droit au but. Avec ma conscience du monde et mon hyper sensibilité, je ne peux savourer pleinement les bonheurs simples que m’offre la vie sans les envisager en lien avec le monde global, ce qui me gâche tout. J’ai essayé de m’intéresser à des choses légères, notamment via le blog, mais il y a toujours un goût amer en arrière plan que j’essaie d’étouffer.Le fait de me dire qu’il y a tellement de travail à faire pour que le monde aille mieux y est pour quelque chose. Il n’y a vraiment pas de quoi être optimiste vu le climat du monde actuel, et le militantisme, qu’il soit artistique ou politique, me permet au moins d’agir à mon niveau en attendant je ne sais quoi.

Mini  N. a fêté ses deux ans en février, et avec sa grande sœur, elles remplissent nos vies de joies. Mes deux filles m’apprennent tellement chaque jour, et je dois me surpasser pour répondre conjointement à leurs bruyantes exigences et aux miennes! Elles arrivent à manifester leurs humanité et leur vivacité autant que je n’ai jamais pu le faire pour moi-même, moi qui suis toute éteinte. Elles sont bavardes et moi je ne le suis pas du tout. Je suis épuisée par mes propres maniaqueries et mon besoin de tout faire selon un schéma bien précis (tout ou rien) mais très contente du chemin parcouru. J’apprend à passer le relais. J’ai appris à m’accepter, même dans les moments où j’ai besoin de me couper du monde et à tenter d’expliquer aux autres que là j’atteins mes limites ou que je suis incapable d’expliquer ma façon de penser. J’ai entamé un parcours de diagnostic médical plus précis car j’ai besoin de comprendre comment faire pour aller de l’avant dans mes projets à visée sociale en étant handicapée de la sorte dans les rapports que je peux avoir avec les autres. J’ai besoin de comprendre comment être enfin moi-même et respecter mes besoins sans détruire les liens et structures fragiles que j’ai réussi à construire autour de moi. Je passe sans cesse de doutes aux actions puis aux remises en questions. Car une chose est sûre: je souffre à la fois de ne pas être en communion avec le monde, ni entendue ni comprise, ne pouvant par le seul biais de mes actions avoir un impact sur ce monde que j’ai besoin de changer et sur ma communauté que j’ai besoin de soutenir. Alors que, au fond, ce que je désire le plus pour être soulagée, c’est de ne plus avoir à gérer des interactions sociales oppressives pour moi. La pratique artistique, qui me paraissait il y a quelques années être la solution, est en fait peu efficace si on envisage d’impacter le monde de manière radicale et immédiate. Il faut trouver un juste milieu et je dois me forcer. Je me suis donc résolue à essayer de mieux comprendre mon autisme en concédant qu’on me traite à nouveau comme un spécimen, et c’est pour ça que j’en parle ici car cela occupe beaucoup mes pensées ces derniers mois. Souhaitez-moi bonne chance et surtout de la patience.

Pour aller  plus loin si vous êtes une femme autiste: https://femmesautistesfrancophones.com/

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